Les prophètes de la Bible juive Nahoum et Jonas présentent des visions géopolitiques contradictoires de la superpuissance assyrienne de leur temps et de sa capitale Ninive. Leur questionnement peut être appliqué aux Ninives de notre temps que sont les Etats-Unis de Trump, la Russie de Poutine, la Chine de Xi Jimping, et peut-être même l’Israël de Netanyahou.
Gilles Bourquin,
Livre du prophète Nahoum 1,1-8 – Hymne au Seigneur terrible et bon
1 Proclamation sur Ninive.
Livre de la vision de Nahoum l’Elqoshite.
2 Le SEIGNEUR est un Dieu exigeant et vengeur.
Le SEIGNEUR est vengeur ; sa colère est terrible.
Le SEIGNEUR se venge de ses adversaires ;
il s’enflamme contre ses ennemis.
3 Certes, le SEIGNEUR est lent à la colère et d’une grande puissance,
mais le SEIGNEUR ne laisse rien passer.
Il s’avance dans la tourmente et la tempête ;
la nuée, c’est la poussière que soulèvent ses pas.
4 Il fulmine contre la mer et la met à sec ;
il tarit toutes les rivières.
Ils dépérissent, le Bashân et le Carmel ;
la flore du Liban dépérit.
5 Les montagnes tremblent devant lui,
et les collines chavirent.
Devant sa face, la terre est bouleversée,
tout l’univers habité.
6 Face à son indignation, qui tiendrait ?
Qui se dresserait quand s’embrase sa colère ?
Sa fureur déferle comme l’incendie ;
les roches s’éboulent devant lui.
7 Le SEIGNEUR est bon ;
il est un abri au jour de détresse.
Il prend soin de ceux qui cherchent en lui leur refuge,
8 même quand passe le flot impétueux.
Il rase les assises de la ville
et il expulse ses ennemis dans les ténèbres.
Livre du prophète Jonas 3,10-4,2 – Jonas se fâche, le Seigneur s’explique
10 Dieu vit la réaction des gens de Ninive : ils revenaient de leur mauvais chemin. Aussi Dieu revint-il sur sa décision de leur faire le mal qu’il avait annoncé. Il ne le fit pas.
1 Jonas le prit mal, très mal, et il se fâcha. 2 Il pria le SEIGNEUR et dit : « Ah ! SEIGNEUR ! n’est-ce pas précisément ce que je me disais quand je vivais sur mon terroir ? Voilà pourquoi je m’étais empressé de fuir à Tarsis. Je savais bien que tu es un Dieu bon et miséricordieux, lent à la colère et plein de bienveillance, et qui revient sur sa décision de faire du mal.
Evangile de Matthieu 11,20-24 – Lamentation sur les villes de Galilée
20 Alors il se mit à invectiver contre les villes où avaient eu lieu la plupart de ses miracles, parce qu’elles ne s’étaient pas converties. 21 « Malheureuse es-tu, Chorazin ! Malheureuse es-tu, Bethsaïda ! Car si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, il y a longtemps que, sous le sac et la cendre, elles se seraient converties. 22 Oui, je vous le déclare, au jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées avec moins de rigueur que vous.
23 Et toi, Capharnaüm, seras-tu élevée jusqu’au ciel ?
Tu descendras jusqu’au séjour des morts !
Car si les miracles qui ont eu lieu chez toi avaient eu lieu à Sodome, elle subsisterait encore aujourd’hui. 24 Aussi bien, je vous le déclare, au jour du jugement, le pays de Sodome sera traité avec moins de rigueur que toi. »
Prédication du 5 octobre 2025 à Péry, dans le Jura bernois, en Suisse
L’Evangile de la colère
La Bible chrétienne, tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, contient aussi un Evangile à l’envers : Un Evangile de la colère, du jugement et de la vengeance divine. Nous le savons tous, pour peu que nous ayons quelques connaissances bibliques, et nous ne savons pas trop que faire de cette face sombre de la Bible, celle du Dieu caché.
Le livre du prophète Nahoum, par exemple, s’ouvre sur ces mots : « Proclamation sur Ninive. Livre de la vision de Nahoum l’Elqoshite. Le Seigneur est un Dieu exigeant et vengeur. […] sa colère est terrible » (Na 1,1-2). Comment comprendre, et que faire de telles paroles choquantes ? Nous sommes conscients que si la Bible nous présentait un Dieu uniquement gentillet, elle ne serait pas la Bible, elle n’en aurait pas l’autorité.
Certains croyants se réfugient dans l’idée que le Dieu du Nouveau Testament est un Dieu de grâce et de paix, qui renverse celui de l’Ancien Testament, lequel était un Dieu de jugement et de guerre avant tout. Une telle différentiation n’est peut-être pas entièrement fausse, mais elle souffre de nombreuses exceptions. Le Dieu du Nouveau Testament est parfois plus radicalement sévère et juge que celui de l’Ancien. Par exemple, s’adressant aux populations restées indifférentes à son message, Jésus s’exclame : « au jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées avec moins de rigueur que vous » (Mt 11,22).
La prédication protestante de la grâce inconditionnelle de Dieu
Néanmoins, selon l’interprétation protestante de la Bible, nous tirons des Ecritures saintes un Evangile de grâce et de paix, celui d’un Dieu qui accorde un accueil inconditionnel à quiconque se tourne vers lui. Nous ne menaçons personne du jugement de Dieu, refusant d’entrer dans le jeu de l’intimidation et de la culpabilisation religieuse.
En effet, les êtres humains n’ont de loin pas tous les mêmes facilités à adopter un comportement conforme aux attentes de l’Evangile. Certains ont un caractère difficile, facilement susceptible, agressif ou craintif, d’autres sont vulnérables à diverses tentations, certains sont pleins de scrupules alors que d’autres sont naturellement confiants. Les doués sont enclins à condamner les faibles, mais Dieu accueille tous avec la même gratuité !
La conception du caractère de Dieu selon les prophètes Nahoum et Jonas
Nous reconnaissons toutefois que la réalité biblique est plus complexe, et qu’elle mérite une analyse nuancée. Une lecture attentive des prophètes de l’Ancien Testament semble en effet confirmer, du moins selon une lecture historico-critique des textes, que la question du caractère doux ou violent de Dieu fut un problème discuté, qui ne trouva pas de réponse unanime parmi les prophètes juifs qui s’exprimaient au nom du Dieu Yahvé.
Le Psaume placé au début du livre de Nahoum, par exemple, témoigne d’une certaine hésitation du prophète à propos de l’authentique caractère de Dieu. Après avoir affirmé que « le Seigneur est un Dieu exigeant et vengeur, […] sa colère est terrible » (v.1), il ajoute prudemment, comme s’il voulait atténuer son propos initial : « Certes, le Seigneur est lent à la colère et d’une grande puissance, mais le Seigneur ne laisse rien passer » (v.2).
Peut-être Nahoum a-t-il eut vent des enseignements de certains de ses collègues prophètes, qui prêchent un Dieu Yahvé moins sévère, plus apte à patienter et à faire grâce, réservant son jugement pour les seuls cas extrêmes ; et peut-être Nahoum se sent-il obligé, par souci de ne pas les contredire, de tenir compte aussi de leur avis tout en défendant son point de vue. Il termine ainsi son Psaume initial du jugement en rééquilibrant son propos, admettant que « Le Seigneur est bon, il est un abri au jour de détresse. Il prend soin de ceux qui cherchent en lui leur refuge » (v.7).
Parmi les collègues les plus critiques de la sévérité du prophète Nahoum, l’auteur du livre de Jonas use d’une ironie moqueuse peu commune dans la Bible juive. Ce livre prophétique est le seul à être écrit par un narrateur qui raconte les mésaventures du prophète (c’est aussi le cas d’Esaïe 36-39), et non en se servant des oracles du prophète lui-même. Dans tout le livre qui lui est consacré, Jonas ne prononce qu’une seule phrase en tant que prophète : « Encore quarante jours et Ninive sera mise sans dessus dessous » (Jo 3,4). Ainsi, les prophéties de Nahoum et de Jonas concernent toutes deux la ville de Ninive, la capitale de l’Assyrie, située sur le territoire de l’Iran actuel.
Le livre de Jonas met en scène un prophète rempli d’un esprit à la fois anxieux et vengeur, qui craint les habitants de Ninive au point de fuir la consigne de Dieu, qui l’envoie parler aux Ninivites. Après d’invraisemblables mésaventures en mer dans un grand poisson, le prophète Jonas s’exécute, mais contrairement à ses attentes, Dieu ne sanctionne pas les habitants de Ninive, qui écoutent l’avertissement que Dieu leur a communiqué par son entremise. Le paradoxe est complet, lorsque Jonas se fâche en constatant que Dieu n’est pas vengeur comme il le croit (Jo 4,2), et qu’il pardonne les Ninivites repentis.
Les livres des prophètes Nahoum et Jonas, qui datent vraisemblablement de la même époque, présentent donc des théologies et des visions politiques opposées. Nahoum enseigne la vengeance divine contre la violence de l’oppresseur assyrien, tandis que l’auteur humoriste et polémiste du livre de Jonas semble minimiser la méchanceté des Assyriens de Ninive. Les faits historiques donneront raison à la prophétie de Nahoum : La domination pesante de l’Assyrie, qui ne fait que croître dans tout le Moyen-Orient au cours du VIIe siècle avant notre ère, se termine en 612 avant J.-C., lorsque Ninive, la capitale assyrienne, est défaite et définitivement anéantie, rasée par les Mèdes et les Babyloniens, qui deviennent les nouveaux maîtres de l’Orient. C’est un roi babylonien, Nabuchodonosor, qui assiègera, conquerra, incendiera Jérusalem et déportera ses élites juives à Babylone un quart de siècle plus tard, en 587 avant notre ère.
Les dilemmes du Dieu juge
Que conclure ? Les prophéties de la vengeance divine posent plusieurs problèmes théologiques, politiques et historiques. On peut résumer la situation en observant qu’elles ne sont ni entièrement fausses ni entièrement justes, et donc dans l’ensemble trop imprécises pour être satisfaisantes. En effet, si la vengeance divine était toujours immédiate et proportionnée, les coupables seraient immédiatement punis et les justes récompensés. L’histoire humaine serait empreinte d’une justice immédiate. Or, ce n’est pas du tout le cas !
Dans son ensemble, l’histoire humaine est loin d’être entièrement juste, la vengeance divine ne s’exerce ni immédiatement ni systématiquement. Il arrive que les oppresseurs dominent durablement, sans remède, persécutant les minorités ethniques parfois jusqu’au génocide. La situation socio-politique est parfois si injuste, confuse et consternante, que Dieu semble absent. Sa Toute-Puissance est voilée ou le plus souvent totalement cachée. Dans son ensemble, l’histoire humaine ne démontre ni l’action ni l’existence de Dieu. Le mal, l’injustice, l’incertitude et la souffrance sont quasiment omniprésentes !
On peut paraphraser ainsi le dilemme divin : Afin de délivrer leurs victimes, Dieu est obligé d’anéantir leurs oppresseurs, ce qui se produit souvent, mais ce faisant, Dieu contredit son amour éternel envers les oppresseurs, qu’il souhaiterait également épargner. L’histoire du Déluge (Ge 6-9) parodie ce dilemme divin avec humour noir : Désabusé de l’humanité mauvaise qu’il a créée, ne sachant plus que faire, Dieu décide de l’anéantir, mais la mort dans l’âme, il se contredit en sauvant tout-de-même la famille de Noé, et le mal humain recommence… Le jugement divin du Déluge universel est ainsi un coup dans l’eau ! Cet anéantissement quasi total des humains est totalement inutile car il ne change pas fondamentalement la condition humaine. Au contraire, il la confirme !
Les Ninives d’aujourd’hui
L’exégète Carl-A. Keller, commentateur du livre de Nahoum en 1990, décrit ainsi l’empire assyrien : « Tout en offrant les charmes de ses arts et de sa science, l’ordre politique auquel aspire Ninive est un crime contre l’humanité. Ninive exploite les nations, et forte de son administration policière et bureaucratique, elle contrôle leur économie en installant partout des missions commerciales » (C.-A. Keller, Nahoum, Commentaire AT XIb, Labor et Fides, p.106). Le professeur Keller ne saurait mieux prophétiser la situation géopolitique actuelle: Les Ninive d’aujourd’hui, ce sont les Etats-Unis de Trump, la Russie de Poutine, la Chine de Xi Jimping, et peut-être même l’Israël de Netanyahou. Tout cela ne sent pas bon, et l’avenir, comme du temps de Ninive, pourrait s’avérer menaçant. « Certes – disait Nahoum – le Seigneur est lent à la colère […] mais il ne laisse rien passer » (Na 1,3).
Que nous soyons chrétiens, juifs, musulmans, bouddhistes ou athées, nous ne changerons pas radicalement le cours du monde, qui dépend d’innombrables facteurs. Dans la foi, certains croient que le monde est entre les mains du Dieu caché, d’autres croient que Dieu ne peut pas contrecarrer la liberté des hommes, ou qu’il s’interdit de le faire, désireux de rendre les humains conscients des conséquences de leurs actes.
Contribuons à semer autour de nous le pardon, la réconciliation, l’écoute de l’opposant et le secours du faible. N’abandonnons pas la victime à ses bourreaux. Prenons soin des humains, et ne détestons pas notre prochain parce que sa foi diffère de la nôtre. Amen.
Bibliographie et complément théologique
Edmond Jacob, Carl-A. Keller, Samuel Amsler, Osée. Joël. Amos. Abdias. Jonas. Commentaire de l’Ancien Testament XIa, Neuchâtel et Paris, Delachaux & Niestlé, 1965.
René Vuilleumier, Carl-A. Keller, Michée. Nahoum. Habacuc. Sophonie. Commentaire de l’Ancien Testament XIb, Genève, Labor et Fides, 1990.
Pour deux raisons, l’une théologique et l’autre historique, il est pertinent de penser que le livre de la Genèse a été écrit après les écrits prophétiques de Nahoum et Jonas.
Théologiquement, le récit du Déluge en Genèse 6 à 9 fait l’office d’un résumé et d’une conclusion théologique du dilemme prophétique de l’Ancien Testament. Il fait donc preuve d’un état avancé et tardif de la réflexion théologique prophétique, qui tire les conclusions de plusieurs siècles de prophétie. Le récit du Déluge souligne le dilemme final du jugement divin : En jugeant les nations pécheresses, et donc l’histoire mondiale dans son entier, Dieu se montre certes juste, mais par la même occasion, il détruit le monde humain qu’il a créé, il parachève ainsi l’échec de son oeuvre et contredit son esprit d’amour inconditionnel et de grâce. Le jugement divin comporte donc à l’intérieur de lui-même sa propre contradiction, qui est la négation du caractère infiniment généreux de Dieu.
Historiquement, le récit de la Genèse, qui raconte les débuts de l’humanité, est le résultat d’une écriture de l’histoire qui procède presque inévitablement à reculons. Un historien commence par analyser la situation d’aujourd’hui, puis il étudie l’histoire qui précède afin de connaître et de comprendre comment on en est arrivés à la situation d’aujourd’hui. Par exemple, aujourd’hui, les historiens se demandent quels sont les facteurs qui ont précédé et conduit à l’élection de Donald Trump… Ce faisant, l’historien est porté à étudier des époques anciennes toujours plus lointaines, afin d’expliquer les causes de ce qui s’est produit par la suite. Les auteurs bibliques, après avoir écrit les annales des rois de Juda et d’Israël, en sont venus à écrire ce qui s’était produit avant, et ils ont parachevé leur oeuvre avec le récit de la Création du monde et d’Adam et Eve, qui n’ont évidemment laissé aucune trace et qui sont donc des compositions littéraires des auteurs bibliques. Il est en effet inconsidéré de prétendre que Adam et Eve, Caïn et Abel, Noé et ses descendants, ni même Abraham, Isaac et Jacob, ont écrit leur histoire et l’on transmise à leurs descendants. La Bible juive ne prétend jamais que ces Patriarches aient été des écrivains, et on voit difficilement comment leurs récits, sans écriture, auraient pu être conservés durant quatre siècles d’esclavage des Hébreux en Egypte (selon les données bibliques Gn 15,13 ; Ex 12,40-41).
Vous pouvez réagir à cette prédication sur » mon propre site internet.
1 Proclamation sur Ninive.
Livre de la vision de Nahoum l’Elqoshite.
2 Le SEIGNEUR est un Dieu exigeant et vengeur.
Le SEIGNEUR est vengeur ; sa colère est terrible.
Le SEIGNEUR se venge de ses adversaires ;
il s’enflamme contre ses ennemis.
3 Certes, le SEIGNEUR est lent à la colère et d’une grande puissance,
mais le SEIGNEUR ne laisse rien passer.
Il s’avance dans la tourmente et la tempête ;
la nuée, c’est la poussière que soulèvent ses pas.
4 Il fulmine contre la mer et la met à sec ;
il tarit toutes les rivières.
Ils dépérissent, le Bashân et le Carmel ;
la flore du Liban dépérit.
5 Les montagnes tremblent devant lui,
et les collines chavirent.
Devant sa face, la terre est bouleversée,
tout l’univers habité.
6 Face à son indignation, qui tiendrait ?
Qui se dresserait quand s’embrase sa colère ?
Sa fureur déferle comme l’incendie ;
les roches s’éboulent devant lui.
7 Le SEIGNEUR est bon ;
il est un abri au jour de détresse.
Il prend soin de ceux qui cherchent en lui leur refuge,
8 même quand passe le flot impétueux.
Il rase les assises de la ville
et il expulse ses ennemis dans les ténèbres.
Livre du prophète Jonas 3,10-4,2 – Jonas se fâche, le Seigneur s’explique
10 Dieu vit la réaction des gens de Ninive : ils revenaient de leur mauvais chemin. Aussi Dieu revint-il sur sa décision de leur faire le mal qu’il avait annoncé. Il ne le fit pas.
1 Jonas le prit mal, très mal, et il se fâcha. 2 Il pria le SEIGNEUR et dit : « Ah ! SEIGNEUR ! n’est-ce pas précisément ce que je me disais quand je vivais sur mon terroir ? Voilà pourquoi je m’étais empressé de fuir à Tarsis. Je savais bien que tu es un Dieu bon et miséricordieux, lent à la colère et plein de bienveillance, et qui revient sur sa décision de faire du mal.
Evangile de Matthieu 11,20-24 – Lamentation sur les villes de Galilée
20 Alors il se mit à invectiver contre les villes où avaient eu lieu la plupart de ses miracles, parce qu’elles ne s’étaient pas converties. 21 « Malheureuse es-tu, Chorazin ! Malheureuse es-tu, Bethsaïda ! Car si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, il y a longtemps que, sous le sac et la cendre, elles se seraient converties. 22 Oui, je vous le déclare, au jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées avec moins de rigueur que vous.
23 Et toi, Capharnaüm, seras-tu élevée jusqu’au ciel ?
Tu descendras jusqu’au séjour des morts !
Car si les miracles qui ont eu lieu chez toi avaient eu lieu à Sodome, elle subsisterait encore aujourd’hui. 24 Aussi bien, je vous le déclare, au jour du jugement, le pays de Sodome sera traité avec moins de rigueur que toi. »
Prédication du 5 octobre 2025 à Péry, dans le Jura bernois, en Suisse
L’Evangile de la colère
La Bible chrétienne, tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, contient aussi un Evangile à l’envers : Un Evangile de la colère, du jugement et de la vengeance divine. Nous le savons tous, pour peu que nous ayons quelques connaissances bibliques, et nous ne savons pas trop que faire de cette face sombre de la Bible, celle du Dieu caché.
Le livre du prophète Nahoum, par exemple, s’ouvre sur ces mots : « Proclamation sur Ninive. Livre de la vision de Nahoum l’Elqoshite. Le Seigneur est un Dieu exigeant et vengeur. […] sa colère est terrible » (Na 1,1-2). Comment comprendre, et que faire de telles paroles choquantes ? Nous sommes conscients que si la Bible nous présentait un Dieu uniquement gentillet, elle ne serait pas la Bible, elle n’en aurait pas l’autorité.
Certains croyants se réfugient dans l’idée que le Dieu du Nouveau Testament est un Dieu de grâce et de paix, qui renverse celui de l’Ancien Testament, lequel était un Dieu de jugement et de guerre avant tout. Une telle différentiation n’est peut-être pas entièrement fausse, mais elle souffre de nombreuses exceptions. Le Dieu du Nouveau Testament est parfois plus radicalement sévère et juge que celui de l’Ancien. Par exemple, s’adressant aux populations restées indifférentes à son message, Jésus s’exclame : « au jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées avec moins de rigueur que vous » (Mt 11,22).
La prédication protestante de la grâce inconditionnelle de Dieu
Néanmoins, selon l’interprétation protestante de la Bible, nous tirons des Ecritures saintes un Evangile de grâce et de paix, celui d’un Dieu qui accorde un accueil inconditionnel à quiconque se tourne vers lui. Nous ne menaçons personne du jugement de Dieu, refusant d’entrer dans le jeu de l’intimidation et de la culpabilisation religieuse.
En effet, les êtres humains n’ont de loin pas tous les mêmes facilités à adopter un comportement conforme aux attentes de l’Evangile. Certains ont un caractère difficile, facilement susceptible, agressif ou craintif, d’autres sont vulnérables à diverses tentations, certains sont pleins de scrupules alors que d’autres sont naturellement confiants. Les doués sont enclins à condamner les faibles, mais Dieu accueille tous avec la même gratuité !
La conception du caractère de Dieu selon les prophètes Nahoum et Jonas
Nous reconnaissons toutefois que la réalité biblique est plus complexe, et qu’elle mérite une analyse nuancée. Une lecture attentive des prophètes de l’Ancien Testament semble en effet confirmer, du moins selon une lecture historico-critique des textes, que la question du caractère doux ou violent de Dieu fut un problème discuté, qui ne trouva pas de réponse unanime parmi les prophètes juifs qui s’exprimaient au nom du Dieu Yahvé.
Le Psaume placé au début du livre de Nahoum, par exemple, témoigne d’une certaine hésitation du prophète à propos de l’authentique caractère de Dieu. Après avoir affirmé que « le Seigneur est un Dieu exigeant et vengeur, […] sa colère est terrible » (v.1), il ajoute prudemment, comme s’il voulait atténuer son propos initial : « Certes, le Seigneur est lent à la colère et d’une grande puissance, mais le Seigneur ne laisse rien passer » (v.2).
Peut-être Nahoum a-t-il eut vent des enseignements de certains de ses collègues prophètes, qui prêchent un Dieu Yahvé moins sévère, plus apte à patienter et à faire grâce, réservant son jugement pour les seuls cas extrêmes ; et peut-être Nahoum se sent-il obligé, par souci de ne pas les contredire, de tenir compte aussi de leur avis tout en défendant son point de vue. Il termine ainsi son Psaume initial du jugement en rééquilibrant son propos, admettant que « Le Seigneur est bon, il est un abri au jour de détresse. Il prend soin de ceux qui cherchent en lui leur refuge » (v.7).
Parmi les collègues les plus critiques de la sévérité du prophète Nahoum, l’auteur du livre de Jonas use d’une ironie moqueuse peu commune dans la Bible juive. Ce livre prophétique est le seul à être écrit par un narrateur qui raconte les mésaventures du prophète (c’est aussi le cas d’Esaïe 36-39), et non en se servant des oracles du prophète lui-même. Dans tout le livre qui lui est consacré, Jonas ne prononce qu’une seule phrase en tant que prophète : « Encore quarante jours et Ninive sera mise sans dessus dessous » (Jo 3,4). Ainsi, les prophéties de Nahoum et de Jonas concernent toutes deux la ville de Ninive, la capitale de l’Assyrie, située sur le territoire de l’Iran actuel.
Le livre de Jonas met en scène un prophète rempli d’un esprit à la fois anxieux et vengeur, qui craint les habitants de Ninive au point de fuir la consigne de Dieu, qui l’envoie parler aux Ninivites. Après d’invraisemblables mésaventures en mer dans un grand poisson, le prophète Jonas s’exécute, mais contrairement à ses attentes, Dieu ne sanctionne pas les habitants de Ninive, qui écoutent l’avertissement que Dieu leur a communiqué par son entremise. Le paradoxe est complet, lorsque Jonas se fâche en constatant que Dieu n’est pas vengeur comme il le croit (Jo 4,2), et qu’il pardonne les Ninivites repentis.
Les livres des prophètes Nahoum et Jonas, qui datent vraisemblablement de la même époque, présentent donc des théologies et des visions politiques opposées. Nahoum enseigne la vengeance divine contre la violence de l’oppresseur assyrien, tandis que l’auteur humoriste et polémiste du livre de Jonas semble minimiser la méchanceté des Assyriens de Ninive. Les faits historiques donneront raison à la prophétie de Nahoum : La domination pesante de l’Assyrie, qui ne fait que croître dans tout le Moyen-Orient au cours du VIIe siècle avant notre ère, se termine en 612 avant J.-C., lorsque Ninive, la capitale assyrienne, est défaite et définitivement anéantie, rasée par les Mèdes et les Babyloniens, qui deviennent les nouveaux maîtres de l’Orient. C’est un roi babylonien, Nabuchodonosor, qui assiègera, conquerra, incendiera Jérusalem et déportera ses élites juives à Babylone un quart de siècle plus tard, en 587 avant notre ère.
Les dilemmes du Dieu juge
Que conclure ? Les prophéties de la vengeance divine posent plusieurs problèmes théologiques, politiques et historiques. On peut résumer la situation en observant qu’elles ne sont ni entièrement fausses ni entièrement justes, et donc dans l’ensemble trop imprécises pour être satisfaisantes. En effet, si la vengeance divine était toujours immédiate et proportionnée, les coupables seraient immédiatement punis et les justes récompensés. L’histoire humaine serait empreinte d’une justice immédiate. Or, ce n’est pas du tout le cas !
Dans son ensemble, l’histoire humaine est loin d’être entièrement juste, la vengeance divine ne s’exerce ni immédiatement ni systématiquement. Il arrive que les oppresseurs dominent durablement, sans remède, persécutant les minorités ethniques parfois jusqu’au génocide. La situation socio-politique est parfois si injuste, confuse et consternante, que Dieu semble absent. Sa Toute-Puissance est voilée ou le plus souvent totalement cachée. Dans son ensemble, l’histoire humaine ne démontre ni l’action ni l’existence de Dieu. Le mal, l’injustice, l’incertitude et la souffrance sont quasiment omniprésentes !
On peut paraphraser ainsi le dilemme divin : Afin de délivrer leurs victimes, Dieu est obligé d’anéantir leurs oppresseurs, ce qui se produit souvent, mais ce faisant, Dieu contredit son amour éternel envers les oppresseurs, qu’il souhaiterait également épargner. L’histoire du Déluge (Ge 6-9) parodie ce dilemme divin avec humour noir : Désabusé de l’humanité mauvaise qu’il a créée, ne sachant plus que faire, Dieu décide de l’anéantir, mais la mort dans l’âme, il se contredit en sauvant tout-de-même la famille de Noé, et le mal humain recommence… Le jugement divin du Déluge universel est ainsi un coup dans l’eau ! Cet anéantissement quasi total des humains est totalement inutile car il ne change pas fondamentalement la condition humaine. Au contraire, il la confirme !
Les Ninives d’aujourd’hui
L’exégète Carl-A. Keller, commentateur du livre de Nahoum en 1990, décrit ainsi l’empire assyrien : « Tout en offrant les charmes de ses arts et de sa science, l’ordre politique auquel aspire Ninive est un crime contre l’humanité. Ninive exploite les nations, et forte de son administration policière et bureaucratique, elle contrôle leur économie en installant partout des missions commerciales » (C.-A. Keller, Nahoum, Commentaire AT XIb, Labor et Fides, p.106). Le professeur Keller ne saurait mieux prophétiser la situation géopolitique actuelle: Les Ninive d’aujourd’hui, ce sont les Etats-Unis de Trump, la Russie de Poutine, la Chine de Xi Jimping, et peut-être même l’Israël de Netanyahou. Tout cela ne sent pas bon, et l’avenir, comme du temps de Ninive, pourrait s’avérer menaçant. « Certes – disait Nahoum – le Seigneur est lent à la colère […] mais il ne laisse rien passer » (Na 1,3).
Que nous soyons chrétiens, juifs, musulmans, bouddhistes ou athées, nous ne changerons pas radicalement le cours du monde, qui dépend d’innombrables facteurs. Dans la foi, certains croient que le monde est entre les mains du Dieu caché, d’autres croient que Dieu ne peut pas contrecarrer la liberté des hommes, ou qu’il s’interdit de le faire, désireux de rendre les humains conscients des conséquences de leurs actes.
Contribuons à semer autour de nous le pardon, la réconciliation, l’écoute de l’opposant et le secours du faible. N’abandonnons pas la victime à ses bourreaux. Prenons soin des humains, et ne détestons pas notre prochain parce que sa foi diffère de la nôtre. Amen.
Bibliographie et complément théologique
Edmond Jacob, Carl-A. Keller, Samuel Amsler, Osée. Joël. Amos. Abdias. Jonas. Commentaire de l’Ancien Testament XIa, Neuchâtel et Paris, Delachaux & Niestlé, 1965.
René Vuilleumier, Carl-A. Keller, Michée. Nahoum. Habacuc. Sophonie. Commentaire de l’Ancien Testament XIb, Genève, Labor et Fides, 1990.
Pour deux raisons, l’une théologique et l’autre historique, il est pertinent de penser que le livre de la Genèse a été écrit après les écrits prophétiques de Nahoum et Jonas.
Théologiquement, le récit du Déluge en Genèse 6 à 9 fait l’office d’un résumé et d’une conclusion théologique du dilemme prophétique de l’Ancien Testament. Il fait donc preuve d’un état avancé et tardif de la réflexion théologique prophétique, qui tire les conclusions de plusieurs siècles de prophétie. Le récit du Déluge souligne le dilemme final du jugement divin : En jugeant les nations pécheresses, et donc l’histoire mondiale dans son entier, Dieu se montre certes juste, mais par la même occasion, il détruit le monde humain qu’il a créé, il parachève ainsi l’échec de son oeuvre et contredit son esprit d’amour inconditionnel et de grâce. Le jugement divin comporte donc à l’intérieur de lui-même sa propre contradiction, qui est la négation du caractère infiniment généreux de Dieu.
Historiquement, le récit de la Genèse, qui raconte les débuts de l’humanité, est le résultat d’une écriture de l’histoire qui procède presque inévitablement à reculons. Un historien commence par analyser la situation d’aujourd’hui, puis il étudie l’histoire qui précède afin de connaître et de comprendre comment on en est arrivés à la situation d’aujourd’hui. Par exemple, aujourd’hui, les historiens se demandent quels sont les facteurs qui ont précédé et conduit à l’élection de Donald Trump… Ce faisant, l’historien est porté à étudier des époques anciennes toujours plus lointaines, afin d’expliquer les causes de ce qui s’est produit par la suite. Les auteurs bibliques, après avoir écrit les annales des rois de Juda et d’Israël, en sont venus à écrire ce qui s’était produit avant, et ils ont parachevé leur oeuvre avec le récit de la Création du monde et d’Adam et Eve, qui n’ont évidemment laissé aucune trace et qui sont donc des compositions littéraires des auteurs bibliques. Il est en effet inconsidéré de prétendre que Adam et Eve, Caïn et Abel, Noé et ses descendants, ni même Abraham, Isaac et Jacob, ont écrit leur histoire et l’on transmise à leurs descendants. La Bible juive ne prétend jamais que ces Patriarches aient été des écrivains, et on voit difficilement comment leurs récits, sans écriture, auraient pu être conservés durant quatre siècles d’esclavage des Hébreux en Egypte (selon les données bibliques Gn 15,13 ; Ex 12,40-41).
Vous pouvez réagir à cette prédication sur » mon propre site internet.