Prédication : La naissance de l’Emmanuel au jour de Noël

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Giotto di Bordone, Fresque de la Nativité, Chappelle de Scrovegni, Padoue, Italie, vers 1305

Noël commence au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, lorsque le roi Akhaz de Juda se trouve attaqué par les rois de Damas et du nord d'Israël. Selon le livre du prophète Esaïe, ayant reçu un premier signe divin, Dieu lui en propose un second, mais Akhaz semble dédaigner cette nouvelle invitation divine. C'est alors que Dieu, visiblement agacé par ce refus, lui adresse un signe pour le moins énigmatique : "Voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils et elle lui donnera le nom d'Emmanuel". Huit siècles plus tard, l'évangéliste Matthieu s'empare de cette prophétie...
Gilles Bourquin,
Livre du prophète Esaïe 7,10-17 – Le signe de l’Emmanuel

10 Le SEIGNEUR parla encore à Akhaz en ces termes : 11 « Demande un signe pour toi au SEIGNEUR ton Dieu, demande-le au plus profond ou sur les sommets, là-haut. » 12 Akhaz répondit : « Je n’en demanderai pas et je ne mettrai pas le SEIGNEUR à l’épreuve. »

13 Il dit alors : Ecoutez donc, maison de David !
Est-ce trop peu pour vous de fatiguer les hommes,
que vous fatiguiez aussi mon Dieu ?

14 Aussi bien le Seigneur vous donnera-t-il lui-même un signe :
Voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils
et elle lui donnera le nom d’Emmanuel.

15 De crème et de miel il se nourrira,
sachant rejeter le mal et choisir le bien.

16 Avant même que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien,
elle sera abandonnée, la terre dont tu crains les deux rois.

17 Le SEIGNEUR fera venir sur toi,
sur ton peuple et sur la maison de ton père,
des jours tels qu’il n’en est pas venu
depuis qu’Ephraïm s’est détaché de Juda – le roi d’Assyrie.

Evangile de Matthieu 1,18-25 – L’annonce à Joseph

18 Voici quelle fut l’origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu’ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint.

19 Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement. 20 Il avait formé ce projet, et voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint, 21 et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »

22 Tout cela arriva pour que s’accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète : 23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : « Dieu avec nous ».

24 A son réveil, Joseph fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse, 25 mais il ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.

Prédication de la Veille de Noël le 24 décembre 2024 à 23h00 à Péry, dans le Jura bernois, en Suisse

La guerre de Recîn et Péqah contre Achab et le signe divin impromptu de l’Emmanuel

Selon le 7e chapitre du livre biblique du prophète Esaïe, Dieu lui-même invite le roi Akhaz, qui régna à Jérusalem sur Juda à la fin du VIIIe siècle avant J.-C., à le consulter (v.10-11), en lien vraisemblablement à l’attaque qu’Akhaz subit de la part Recîn, roi syrien de Damas, qui s’est allié à Péqah, roi d’Israël au Nord, et auxquels Akhaz a refusé de s’allier contre les campagnes victorieuses du puissant roi assyrien Tiglath-Pileser III. Selon le début de ce 7e chapitre du livre d’Esaïe, Dieu a déjà une fois rassuré Akhaz dans le contexte de ce conflit (v.1-9), mais étrangement, Akhaz boude cette nouvelle invitation divine à recevoir un signe, comme si Akhaz supposait pouvoir s’en sortir tout seul !

Cet indépendantisme un peu prétentieux du roi Akhaz a le don d’énerver le Seigneur, qui s’exclame : « Est-ce trop peu pour vous de fatiguer les hommes, que vous fatiguiez aussi mon Dieu ? » (v.13). C’est alors que le Seigneur prend l’initiative inattendue de révéler un signe dont le contenu est à vrai dire incompréhensible, car apparemment sans rapport avec le contexte de cette guerre syro-ephraïmite (alliance entre la Syrie et Israël) : « Aussi bien le Seigneur vous donnera-t-il lui-même un signe : Voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel. De crème et de miel il se nourrira, sachant rejeter le mal et choisir le bien. Avant même que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, elle sera abandonnée, la terre dont tu crains les deux rois » (Es 7,14-16).

Qui est cette jeune femme qui est enceinte et qui enfante un fils auquel elle donne le nom d’Emmanuel, un mot qui signifie en hébreu Dieu avec nous ? La prophétie précise, dans la dernière phrase que nous venons de lire (v.16), que l’enfant de la jeune femme sera encore très jeune au moment où la terre des deux rois sera abandonnée. Il y a là de toute évidence une allusion à la défaite rapide de Recîn, le roi syrien de Damas, et de son allié Péqah, roi d’Israël au Nord, qui eut lieu entre 734 et 732 avant J.-C., vaincus par le roi assyrien Tiglath-Pileser III, défaite suivie de la déportation de leurs populations à Babylone.

Donc, amis chrétiens, nous devons reconnaître, si nous lisons soigneusement la Bible juive, dont nous avons fait par la suite notre Ancien Testament, que la jeune femme dont parle le prophète juif Esaïe, qui est enceinte et qui enfante un fils auquel elle donne le nom d’Emmanuel, doit avoir vécu et mis au monde cet enfant un peu plus de sept siècles avant notre ère. Il s’agit certainement, selon la seule interprétation à peu près crédible de ce mystère, d’un enfant de la dynastie royale qui devra succéder au roi Akhaz. En lui donnant pour signe la naissance d’un successeur royal, Dieu révèle ainsi à Akhaz qu’il n’a pas à craindre l’attaque de ses ennemis Recîn et Péqah. Toutefois, au chapitre suivant, le prophète Esaïe refait allusion à ce mystérieux personnage dénommé Emmanuel, qui n’a par ailleurs jamais existé (aucun roi historique ne porte ce nom), et Esaïe semble maintenant lui conférer une puissance surhumaine, ce qui laisse entendre que déjà à son époque, ce descendant de la dynastie de David dénommé si noblement Dieu avec nous, a été considéré comme un personnage mythique ou comme un futur Messie (Es 8,5-10).

L’interprétation chrétienne de la prophétie d’Esaïe au sujet de l’Emmanuel

Au total, dans la Bible chrétienne, le nom d’Emmanuel n’apparaît que trois fois. Nous avons cité les deux premières, aux chapitres 7 et 8 du livre d’Esaïe. La troisième mention de ce nom figure dans un livre biblique écrit environ huit siècles plus tard, et placé ensuite au début du Nouveau Testament : l’Evangile de Matthieu. Or, il y a ici une subtilité qui a une telle importance pour notre fête de Noël, que je ne peux pas éviter de vous en parler. En effet, selon les quatre Evangiles du Nouveau Testament, Jésus n’a jamais parlé lui-même de ce nom Emmanuel. Ce nom apparait un seule fois chez Matthieu, au moment où cet évangéliste cite, de sa propre initiative, les paroles de la fameuse prophétie (que Esaïe a adressée au roi Akhaz au sujet de la jeune fille enceinte), afin d’expliquer pourquoi Joseph ne doit pas craindre de prendre chez lui Marie, son épouse. La raison en est que (je cite ici les paroles du songe inspiré de Joseph) : « ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » (Mt 1,20). En effet, Matthieu vient d’expliquer que Marie, mère de Jésus, « était accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu’ils aient habité ensemble [il faut comprendre couché ensemble], elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint » (M 1,18).

Or, nous devons admettre que cette nouvelle de la conception virginale de Jésus, sans qu’il y ait eu fécondation masculine de la jeune fille enceinte, est tellement incroyable que Matthieu se sent obligé de recourir à la Bible juive, c’est-à-dire à notre Ancien Testament chrétien, pour prouver (ou du moins pour appuyer par les Saintes Ecritures) la véracité de ce qu’il avance ; et c’est dans ce but qu’il cite l’étrange signe divin qu’Esaïe adresse au roi Akhaz pour l’encourager. Mais, attention, écrivant son Evangile en grec, Matthieu cite la version grecque de la Bible juive, la Septante, dont la traduction donne un sens légèrement différent à la prophétie d’Esaïe écrite à l’origine en hébreu. En français, voici cette traduction de Matthieu : « Tout cela arriva pour que s’accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète [sous-entendu Esaïe] : Voici que la vierge enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, ce qui se traduit Dieu avec nous » (Mt 1,23 citant Es 7,14).

En clair, le texte d’Esaïe utilise le mot hébreu « alemah, qui apparaît 7 fois dans la Bible juive, et qui dans la TOB (Traduction Œcuménique de la Bible), est traduit 2 fois par adolescente, 2 fois par jeune fille, 2 fois par jeune femme et 1 fois par fille, sans qu’il soit possible, même en se servant de l’étymologie hébraïque du mot, de le traduire précisément par vierge. En revanche, le mot grec utilisé par Matthieu est parthenos, qui signifie clairement vierge, fiancé ou fiancée, homme ou femme n’ayant jamais eu de relations sexuelles. En conclusion, il s’avère très difficile d’établir si la traduction grecque de Matthieu par vierge déforme ou non le sens originel du texte d’Esaïe. Mais de toute manière, dans les deux cas, cela ne prouve rien. Nous devons simplement prendre acte que cette traduction de jeune fille par vierge est incertaine, et que l’argumentation de l’évangélistre Matthieu, qui s’appuie sur cette prophétie d’Esaïe pour étayer son annonce de la naissance virginale de Jésus, reste sujette à caution.

En fin de compte, que devons-nous croire ? Le prophète Esaïe a-t-il, sans le savoir, à l’occasion de la guerre contre Akhaz, prophétisé par ce signe la naissance du Christ Jésus, huit siècles plus tard ? En réalité, l’image du futur Messie d’Israël s’est construite peu à peu, d’une prophétie à l’autre, par tâtonnements successifs, et il est clair que le livre d’Esaïe y a beaucoup contribué. Ensuite, ce n’est que rétrospectivement que les chrétiens, dont l’évangéliste Matthieu, ont été amenés à rechercher des affinités entre les anciennes prophéties juives, et le sens qu’ils cherchaient à donner à l’histoire de Jésus. Ainsi, si Matthieu a cherché à expliquer le mystère de Noël en soulignant à quel point Jésus était de filiation divine, et non seulement humaine, en affirmant que Joseph n’était pas son père biologique, il n’est pas dit que nous devions exprimer aujourd’hui le sens de la vie divine de Jésus au travers de ce même genre de miracles, qui peuvent à présent nous sembler bien étranges.

Que Dieu ait parlé par les prophètes juifs, puis enfin par Jésus, d’une manière tout-à-fait exceptionnelle dans l’histoire de l’humanité, et qu’il ait choisi de se révéler, lui le Seigneur de l’Univers, dans les traits d’un petit enfant nu dans une crèche destinée aux animaux, je le crois aussi de tout mon cœur, en tant que chrétien et en tant que pasteur. C’est ainsi, chères paroissiennes et chers paroissiens, que je vous convie à emprunter vous aussi le chemin des mages et des bergers, et vous rendre à la crèche pour y adorer Jésus. Amen

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